Feuille de salle du 9 novembre 2024
Premier système de reproduction sonore apparu quelque part entre l’écho naturel et l’invention du phonographe, « l’orgue des étrangers » ou « orgue de barbarie » est, depuis 2015, l’outil que j’ai choisi pour explorer les plis de mon imaginaire. Dans cette aventure nomade autour d’un instrument revisité, l’orgue des rues passe au chevet du monde, à l’épreuve de la création, se fait tribune et passeur de culture plongeant dans l’infini des formes et des possibles.
Quel objet merveilleux qu’un orgue de voyage sonné par un fantôme pour celui qui se sent, par-delà les étoiles, étranger à lui-même. À mon sens, l’art est d’abord outil d’expérience poétique et sociale et n’a pas de destination propre. Il s’agit toujours d’entrer en résonnance. Dans un passé proche, cette intention m’a bordé « d’incomparables merveilles » : polyphonies et chants sacrés du Caucase, broderies de Palestine ou répertoire vocal de la rivière moldva, autant de régions éprouvées par des êtres aux contours imprécis dont seule la Nature en connait le tracé.
Ce soir, je vous propose de découvrir Soleils du Poitou, création inédite issue de mon séjour à Poitiers, et plus précisément de ma résidence à la Villa Bloch. On m’a chanté un jour qu’aucune rivière ne connait la tristesse. Est-ce la raison pour laquelle nous choisissions jadis de renommer d’innombrables provinces des flots qui les traversent ? Jean-Richard Bloch écrivait dans un article de 1933 qu’à la chute de l’ancien régime, « lorsqu’on en vint aux territoires formant la partie occidentale du Poitou […] on ne trouva pas mieux qu’un égout obscur qui arrosait un coin du pays, la Vendée » ; tandis que la Vienne et les Deux-Sèvres, trois autres cours d’eau furent eux « murés dans une destinée continentale », bien qu’en réalité, ils continuaient de rejoindre la mer.
Comme les eaux font et défont leur lit, le soleil fait et défait la nuit. Mimétisme fondamental : je défais en faisant et doute où je suis sûr. Mon élan artistique est en fait une errance pleine de souvenirs et d’espérances, au cours de laquelle je me noie constamment en tentant d’agréger la lumière. Pourtant, je sais qu’en chacun de mes rêves s’ouvre un sentier qui mène toujours aux sources du soleil.
Passés et présents fulgurés, espaces réinventés, anciennes identités ou d’autres imaginées, ces soleils sont d’ici mais pourraient être ailleurs. Ils sont autant d’objets, intuitions, évènements ou personnes aux pratiques différentes qui ne se connaissaient pas mais qui désormais sont en lien. Qu’ils soient points d’araignée ou sarcophages en pierre, chanson de briolage ou cornemuse ancienne, flutes taillées dans l’érable ou orchestre de chêne, il nous appartient de parsemer d’un peu de trésors l’azur de notre monde violent, inconsolé.
Sorte de géographie de timbres et de matières entrés en collision, de voyage avec et autour de mon orgue, tel un rituel d’adorcisme, je vous propose de faire vibrer les génies mécaniques dans des corps parallèles. Ce soir plus qu’ailleurs dans le Palais d’un pays de granit et de prés, demain peut-être au pied d’un cratère italien ou dans un village de Provence baigné de cyclamens.